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  • Lucas ROCHET

    On peut penser que la ville fait monde et qu’elle nous place, nous autres humains, d’une certaine façon « hors du monde ». Il y aurait un stade urbain de l’humanité ; le citadin serait un homme arraché à sa condition naturelle – et parvenu à l’état de liberté. Cela rejoint le sentiment commun qu’en ville, « on n’est pas dans la nature ». Cette idée, tenue pour acquise par de nombreux penseurs de la ville, repose sur une théorie de l’exception humaine qui constitue une intéressante curiosité ethnologique de l’Occidental du 20e siècle, mais qui relève de la pure métaphysique. Cette idée ne nous aide pas à qualifier l’inscription de l’espace urbain dans la biosphère, ni à penser l’habitat d’Homo sapiens dans la perspective de l’habitat des quelques milliards d’espèces non-humaines. Car on peut, tout aussi bien, affirmer qu’en ville, on est toujours dans la nature. Ou, pour dire cela autrement : « la nature » définie par opposition à l’homme est une idée de citadin. La notion moderne, étroite, de la nature comme espace non urbain, non habité, est une production de la culture urbaine. La ville est un théâtre ; le citadin un comédien ; la croyance en l’exception humaine en est la comédie. Un berger nomade, un paysan ou un village ne tracent pas une ligne de démarcation radicale entre liberté et nature, entre leur réalité humaine et la réalité naturelle dans laquelle nous nous insérons et dont nous dépendons. Élaborer une conception élargie de la nature (qui puisse inclure l’ensemble des réalités humaines), c’est mettre fin à la réduction urbaine de la nature comme « monde non urbain » – et dissoudre l’illusion solidaire de la ville comme monde indépendant. La plénitude écologique de l’idée de nature est indissociable du renoncement au mythe de la ville comme empire humain. Bien que cela vaille par principe pour toutes les villes, certaines villes plus que d’autres laissent sentir leur naturalité. C’est à Marseille d’abord, « ville sauvage » que nous avons cherché, avec des artistes-marcheurs, le « tiers-paysage » de Gilles Clément , les « frictions du végétal et du bâti » du collectif SAFI, les richesses de « l’interface ville/nature » de Hendrik Sturm, les mœurs rurales de « l’hypervillage provençal » de Nicolas Mémain. Décidant de transposer dans l’espace urbain une pratique emblématique des espaces sauvages, nous avons créé un sentier de grande randonnée qui explorerait la métropole marseillaise. La réalisation de ce « sentier métropolitain » de 360 km nous a amenés à parcourir pendant trois ans les paysages périurbains de Marseille et de dizaines d’autres communes alentour. Nous avons exploré au plus près la variété insoupçonnée des formes du périurbain. Des paysages utilisés par tant d’acteurs différents, pour tant d’usages hétéroclites, que nous avons définis comme « usagés ». Nous n’étions presque jamais « en ville » ; et nous n’étions presque jamais « dans la nature ». Partout des signes du fait urbain, et partout la présence persistante d’espaces naturels. Sous nos yeux, la ville était devenue autre chose. Nous pensions au départ que ces explorations nous faisaient approfondir la singularité marseillaise dont ce projet était né. Mais peu à peu, une autre évidence s’imposait : le type de paysage qu’en traversant nous apprivoisions, que nous apprenions à pratiquer, à comprendre, à apprécier, nous le reconnaissions désormais partout ailleurs : dans les faubourgs de plus petites villes, dans les franges inter-villes, dans la banlieue des métropoles françaises, méditerranéennes, mondiales. Ce choc entre le naturel et l’artifice, que nous avions identifié et appris à lire à Marseille, nous découvrions peu à peu qu’il structurait la plupart des territoires. Depuis la fenêtre du TGV Marseille-Paris, l’espace rural, fait de champs, de serres, de bois et de noyaux villageois, est partout occupé par tout ce qui fait les coulisses de la ville contemporaine : routes et autoroutes, zones industrielles, zones d’activité, carrières, parkings, voies ferrées, canaux, lignes à haute tension, éoliennes… Partout les territoires portent la marque du fait urbain. Le fait urbain est indissociable d’une machine productrice, d’un vaste réseau, qui enserre le territoire, et dont « les villes » sont comme la minuscule partie émergée. La ville a muté, mais pas encore nos représentations et nos pratiques. Peut-on continuer de nommer « péri »-urbain (en référence au centre-ville) ce qui est en réalité simplement la ville contemporaine : ce réseau fait de continuités automobiles, de lotissements, de connexions énergétiques, d’alimentation en eau et en nourriture, de nœuds aéroportuaires, de zones, de parcs de loisir. Le photographe a raison : c’est uniquement à cette échelle, en observant la ville depuis le centre jusqu’à ses confins, qu’on peut analyser correctement tout le spectre de ses interactions avec le sol, le végétal, la biosphère. Quitter le centre-ville, tracer son chemin, arpenter ces espaces en interrogeant la qualité de la relation entre le donné naturel et l’occupation humaine, c’est déjà une invitation à penser, à pratiquer, à construire la ville autrement.

 

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