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raphsibilla

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    Ce travail est né dans la pénombre d'une chambre. Celle de mon père malade et âgé  où  des infirmiers s'occupaient  quotidiennement  de le nourrir, le changer ou lui faire  la toilette. Je découvrais  alors  avec gêne l'intime de  la figure paternelle. Je me trouvais confronté au corps  vieillissant, corps abîmé, décharné, ridé, plissé, froissé, fatigué, aux  pieds déformés,  aux  joues creusées  et aux  yeux enfoncés. Le père  puissant et conquérant que je connaissais s’effaçait, disparaissait derrière cette chair que mon regard se refusait d'embrasser. Une image d'une puissance brute. Dérangeante et à la fois bouleversante. J'ai voulu photographier  ce  corps. Mais  la maladie ne donnait pas  à mon père la possibilité de valider mon ambition. C'est de cette premiere confrontation avec la chair vieillissante que mon projet a démarré. Sans savoir encore où cela allait me conduire,  je décidais de mettre une annonce dans divers journaux, en offrant à des individus de septante ans et plus  de se faire photographier nus.  Vingt  personnes ont répondu  positivement  a cette annonce. Dix  ont décidé de me rencontrer et participer à cette aventure délicate. Je rencontrai chacun une première fois, afin de faire connaissance, d’établir une certaine complicité. Ces  dix  personnes, hommes et femmes  confondus, ont accepté de me revoir dans mon studio. Toutes  et tous  étaient prêt.e.s et dépourvu.e.s de gêne à l'idée de se faire photographier  dans leur nudité. Or, je fus soudain moi-même déstabilisé par mon ambition; j’étais mal à l’aise au moment de confronter mon oeil et mon appareil  à  ces corps brutalement nus, à cette étrangeté de la chair vieillissante. Ces personnes étaient là, devant moi, s’offrant dans leur intimité et moi je me tenais pétrifié derrière l’objectif, comme si, soudain, les rôles s’étaient renversés. Etait-ce moi qui allait saisir quelque chose de cette vie en déclin ou bien était-ce cette vie-là qui se retournait pour questionner à son tour l’ambition de mon regard? Il m'a fallu apprendre  à  regarder ces corps usés par le temps. Il m’a fallu apprendre à les lire à leur manière, c’est-à-dire au-delà des représentations convenues de la vieillesse - comme désastre de la chair. Il m’a fallu apprendre une nouvelle sensibilité que celle à laquelle la société m’avait habitué. Je ne sais pas bien de quoi il s’agit au juste, mais il me semble que ces plis de la vieillesse et ces "peaux de chagrin" racontent autre chose que la seule vie qui se défait devant nos yeux. Ce sont des oeuvres du temps, des canevas d’une richesse presque infinie, peut-être un peu à l’image de ces arbres centenaires, à la force majestueuse, qu’on admire.  Derrière ces peaux de chagrin, j'ai rencontré des êtres libres et effrontés.  Et je crois que mon  projet leur donnait le droit de faire un dernier doigt d'honneur au temps qui les travaille et à ce corps, vestige d’une vie irrémédiablement vouée à la terre.

 

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