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Portrait de Johnny Garcia, ancien gangster du quartier Kings de Visalia, Californie. Août 2011. Peu de touristes s’arrêtent à Visalia. C’est ce que l’homme tatoué me dit sur le parking. Il ne comprend pas ce qui nous pousse à dormir dans ce motel pourri. Je lui explique que c’est le GPS qui nous a emmené ici et que c’est un concours photo qui m’a permis de venir en Californie. Il est intrigué et moi aussi. La discussion s’installe. Il s’appelle Johnny Garcia. La lumière de fin de journée en Californie est sublime, je lui demande alors de prendre son portrait. Il accepte puis vient me glisser à l’oreille « Now, you got a picture of a real gangster ». La discussion continue alors qu’il coupe au sécateur des roses du par-terre de fleurs devant le motel. Le propriétaire est indien et sa fille joue sur le parking. C’est évident, il n’ose pas contrarier Johnny Garcia et le laisse couper le peu de fleurs qu’il possède. Très spontanément, je lui demande s’il est mexicain. Erreur. Ne pas dire à un Chicano qu’il est mexicain. C’est ce que Johnny Garcia me dit. Il n’est pas mexicain et il m’explique toute l’histoire des Chicanos. Il parle très doucement, très gentillement. Je regarde ses tatouages et ne peut m’empêcher de penser au stéréotype du gangster chicano vu dans les films hollywoodiens. Il me pose des questions à son tour, me souhaite la bienvenue en Californie et me dit qu’il n’a jamais été plus loin que le Mont Rushmore. La seule fois où il a pris l’avion. Il sent mon intérêt et me fait comprendre qu’il est fier et content qu’on s’intéresse à son histoire. Il a toujours été gangster. Il est né à Kings. Il a vécu à Kings. Il s’est battu pour Kings. Il mourra à Kings. Kings, c’est son fief. Pas loin, il y a la prison de Corcoran, une des plus dangereuses des US. Elle a notamment accueilli Charles Manson et l’assassin de Robert Kennedy. Il décide de me montrer quelque chose. Sur son gsm, il y a deux vidéos. Sur la première, une fille fait un strip-tease. Sur la deuxième, elle se masturbe. Il ferme son gsm, me regarde très fier et me dit : « elle vient ce soir dans ma chambre et c’est pour elle que je coupe ces roses ». Il ponctue par un superbe « She likes gangsters ». Je le salue, le remercie pour le portrait et rentre dans ma chambre heureux d’avoir vécu un moment photographique intense. Ceux qui arrivent comme ça, à l’improviste. Je raconte l’histoire à Nella ma compagne. On est pas rassurés d’être arrivés ici. 20 minutes plus tard, on frappe à la porte. Là, on est encore moins rassurés. Johnny Garcia me demande de venir dans sa chambre, il doit me montrer quelque chose. Je n’ose pas refuser. J’y vais mais je flippe. Je le suis en feignant de ne pas avoir peur et d’être « cool ». J’entre dans sa chambre, les rideaux sont tirés et Johnny Garcia ferme la porte derrière lui. Le lit est couvert de carte de sport collector. Michael Jordan, Brett Favre, Mickey Mantle…les stars du basket, foot américain et baseball sont réunis sur son lit. Ils sont tantôt en simili-or, tantôt en hologramme, tantôt transparents mais toujours protégés par une pochette plastique. Ils sont la fierté de Johnny Garcia. Il me dit « C’est mon trésor ». Je suis rassuré en surface, je flippe toujours en profondeur. Il me dit qu’il ne me laissera pas partir de son pays sans emporter quelques souvenirs. Il me demande d’en choisir. Je n’arrive pas à y croire. Probablement vu trop de bêtes films US à la TV. Mais j’en arrive même à me dire qu’il me demande d’en choisir pour m’amadouer et qu’une fois qu’il m’aura buté, il les récupèrera. Mais un autre pan de moi me dit : « non, Jérôme, arrête d’imaginer le pire. C’est vraiment son trésor. Il veut vraiment te faire un cadeau ». J’ai de plus en plus peur quand il me donne quatre cartes qu’il considère comme ses plus belles. Je lui dit qu’il ne doit pas, que je ne sais pas comment le remercier. Il me fait comprendre que ne pas accepter serait une offense. Je ne préfère pas offenser Johnny Garcia. Je lui dis que je vais y aller mais il me dit qu’il va me montrer son autre trésor. Il se dirige vers sa table de nuit et sort un magnum. Là, je me décompose. Je lui dis « wow wow man, I’m scared ». Une petite phrase en anglais qui en français donnerait ceci : « Écoute mec, jusqu’à maintenant, je me suis contenu, j’ai fait semblant que je n’avais aucun à priori à ton égard et que je commençais à croire à tes cartes de sport. Mais là, il faut dire ce qui est, je suis à quelques doigts de chier dans mon froc. J’ai peur comme j’ai pas souvent eu peur. S’il te plait, laisse moi partir et laisse la vie à ma femme et mes enfants. Je n’ai pas d’enfants, mais laisse les tranquilles s’il te plait. J’ai de l’argent et un guide du routard si tu veux de la lecture pour ce soir ». Directement, il me rassure. Il a toujours ce joujou sur lui. Où qu’il aille. Il me dit qu’à Visalia, il est très connu et que si je rencontre le moindre pépin, il est là pour moi ». Il me le montre de trop près. Ce truc qu’en Belgique on voit accroché à la ceinture des policiers. J’ai vraiment trop peur et décide d’être franc avec lui. Je lui explique que 20 minutes avant, quand il frappait à ma porte, je devais aller à la toilette et que maintenant la vue de flingue et l’écoute de son vécu me font l’effet de dix Immodium pilés, chauffés dans une cuillère et injectés en intraveineuse. Je dois partir. Il me laisse partir. Je rentre dans ma chambre. Nella me voit blanc presque transparent. Je n’ose lui raconter les 20 minutes en enfer que je viens de passer. Pourtant il ne s’est rien passé de dangereux. Je me suis probablement emballé en m’imaginant les pires scénarios. Johnny Garcia est aujourd’hui père de deux garçons. Il n’a plus envie de tant de violence et a peur que ses enfants suivent le même chemin. Aujourd’hui, dans le tiroir de mon bureau, il y a quatre cartes collector qui sont un trésor de mémoire et qui donnent encore plus de sens au portrait de Johnny Garcia. Auprès de lui, je m’excuse pour les à-priori qui ont traversés ma tête…mais je lui signale que tout cela était légitime de la part d’un européen qui ne vit jamais dans l’insécurité.