Je suis Photographe
Il y a quelque chose d’essentiellement discret dans le métier de photographe : photographier ce que l’on voit c’est se masquer soi-même, c’est disparaitre derrière son appareil, dissimuler ses yeux derrière son regard de photographe. Bien-sûr, dira-t-on, le photographe peut faire son autoportrait. Certes, mais s’il se transforme alors en l’objet vu, le moment du regard ; le moment de cette préparation de la lumière et du cadre, de ce que l’on va donner à voir : ce moment nous échappe toujours. Le photographe en action nous échappe toujours. Le regard du photographe est toujours masqué. Peut-être est-ce d’ailleurs ce qui le rassure, ce photographe, disparaître un instant du monde, disparaître derrière la pure sensation de ce que l’on voit. C’est ce monde masqué que Bastien a entreprit de mettre au jour. Cette entreprise de discrétion qu’est la photographie, il lui offre un peu du jour qu’elle donne aux autres. C’est une démarche humble mais noble. Pour opérer une comparaison, les grandes découvertes de l’archéologie sont toujours fascinantes, mais peut-être est-il tout aussi émouvant de penser à l’archéologue qui met au jour cette découverte, délicatement, patiemment. À sa façon, le photographe est lui aussi un découvreur. Il se balade dans ce qu’il voit, il arpente le réel. Parfois c’est pour en témoigner, pour en être l’historien, parfois c’est pour y inventer son propre monde, pour traverser le pont qui s’ouvre entre la vie qu’il porte en lui-même, et celle qui se déroule devant soi. Ces découvreurs que sont les photographes méritent bien qu’on leur offre de temps à autre un contre-champ. Bastien choisit le portrait, portrait des photographes eux-mêmes en personnages de leur propre univers. Ici se pose la question de l’inspiration, de la rencontre. Bastien se glisse dans un univers, c’est lui qui prend la photo, et pourtant, le style est d’un autre. Entreprise vertigineuse et paradoxale, un exercice de style qui consiste à se fondre dans celui des autres, un hommage aux visions, aux univers, mais également un jeu de cache-cache avec la notion d’auteur. Les photographes sont décidément des gens discrets.