MATIÈRE À RÉFLEXIONS

par François Bénard
© RMN - 1989

Les diamantaires d’Anvers mesurent l’éclat de leurs pierres à la lumière du nord, à 11 heures le matin. Étrangement, au Louvre, les Joyaux de la Couronne sont cachés dans la pénombre de la Galerie d’Apollon, orientée plein sud. Mais qu’importe. Derrière la vitrine, les pierres profitent d’un éclairage de star.

Dans ce coin-là, on trouve de tout : émeraudes, saphirs, spinelles, rubis, diamants… Ils s’appellent le Sancy, le Côte-de-Bretagne, l’Hortensia, le Hope. Comme des noms de bateaux venus s’échouer là. Parmi eux, il y a le Régent. Un diamant blanc, le plus pur de tous. C’est étonnant de l’avoir appelé le Régent non ? Comme un clin d’œil un peu louche à Philippe d’Orléans qui n’était pas franchement tout blanc.

© RMN - 1989
Masque © Monchhichigirl

Portrait de la Golconde

« Il eft de la groffeur d’une prune de reine-claude, d’une forme prefque ronde, d’une épaiffeur qui répond à fon volume, d’une eau admirable et pèfe plus de 500 grains ».

Dans ses Mémoires, Saint Simon s’émeut face au Régent et tous ses grains. Ces grains sont ceux du caroubier, une fève de Méditerranée qui pèse invariablement 0,2 gramme. Cette constance donnera son nom et sa mesure au carat.

À Golconde, vers 1700, un mineur découvre ce diamant de 410 carats exactement. Dans cette région – située à 600 km des côtes du golfe du Bengale – les esclaves creusent l’une des plus anciennes parties de la croûte continentale. Normal. Il s’agit de dénicher une matière cristallisant à 200 km de fond. À l’époque, la Compagnie Britannique des Indes Orientales, installée à Madras, cohabite péniblement avec le souverain local. Ce dernier cède du terrain et se fait aussi voler ce qu’il y a dessous. Il ne verra jamais le diamant extrait de ses terres. C’est Thomas Pitt – gouverneur de la compagnie anglaise – qui achète le caillou pour 20 400 livres. À qui ? Mystère. Impossible de compter les intermédiaires entre l’heureux mineur et le bureau du gouverneur…

Éclat Intérieur © NRP

 

En 1702, le fils de Pitt rentre en Angleterre avec le cailloux qui sera bientôt fractionné par le joaillier londonien Harris. Le plus gros morceau fait 140,5 carats. Blanc comme une reine-claude, il sera bientôt le Régent. Le tailleur s’est joué des imperfections pour dessiner les arêtes et estomper les inclusions. Taillé en « brillant », ses 58 nouvelles facettes transforment la matière brute en lumière.

Partout serti, sorti par tous.

En 1717, la France achète le caillou pour 650 000 livres. « Je m’applaudis beaucoup d’avoir refolu le régent à une emplette fi illuftre » écrira Saint Simon. Le diamant va maintenant se promener sur les atours royaux : sur la couronne de Louis XV au sacre, sur la couronne de Louis XVI aux États-Généraux, sur les bijoux de Marie-Antoinette aux jardins de Trianon, sur les épées de Napoléon à la parade… La pierre suit les agendas de chacun.

Brillant © Louis Guermond

Pourtant, le Régent est « patrimoine national ». Tout comme l’ensemble des Joyaux de la Couronne, il n’appartient à aucune main, pas même celles des souverains. La seconde femme de Napoléon n’a sans doute pas l’info lorsqu’elle l’emporte en exil (Elle le restituera vite à la France). En 1887, les députés ne semblent pas non plus être au courant. Ils mettent en vente des milliers de pièces des Joyaux de la Couronne. La République – encore fragile – veut empêcher les prétendants au trône de se recoiffer brillamment. La peur n’est pas bonne conseillère : cette vente crée une offre surabondante de joyaux dépecés qui fait chuter les prix. Les gains sont minimes, le patrimoine est vidé. Bravo messieurs. Seule bonne nouvelle : le Régent figure parmi les rescapés.

Un Régent pas toujours brillant

Retour en 1715. La France d’alors est ruinée par les guerres de Louis XIV. John Law débarque en France avec sa logique de casino. Il propose à Philippe d’Orléans – Régent de France, intérimaire de Louis XV – un nouveau système monétaire. Son idée : créer une banque émettrice d’un papier monnaie échangeable contre de l’or. La logique est simple. En créant + de monnaie, il crée + d’échanges, donc + de croissance. Encore faut-il une réserve d’or… Law y place sa fortune et Philippe d’Orléans suit. En filant à la banque en carrosse pour déposer son or, il instaure la confiance dans ce nouveau papier monnaie.

Très vite, l’économie repart. Les échanges fusent. On apprend par ailleurs qu’un beau diamant est à vendre au pays de Law. Devenu ministre des finances, le joueur de loterie suggère au Régent de se l’offrir. La France est riche, elle doit maintenant éblouir. Le Régent hésite, les français se remettent à peine de leurs souffrances. (Cet homme de chair – tenancier du bordel du Palais Royal – dispose néanmoins d’une haute conscience de dirigeant). Saint Simon va appuyer Law et insister. Philippe d’Orléans cède. Avec un peu de chance, ce joyau si pur baptisé Régent pourrait aussi dissimuler ses mœurs peu reluisantes…

Camouflage © Alea

Le Régent a bien fait de ne pas hésiter trop longtemps. Trois ans plus tard, c’était trop tard… Après son système monétaire, Law a mis en place un système de financement par actions de sa Compagnie du Mississippi. L’idée ? Proposer à tous de s’associer aux bénéfices du projet. Valets, servantes, charcutier… Tout le monde achète des actions, les vend, les rachète sans rien connaître des résultats d’une entreprise qui ne rapporte rien. Les premiers colons sont rentrés de Louisiane avec le scorbut pour seule épice. L’information se diffuse, les cours dégringolent. Pour ne rien arranger, les prix des denrées se sont envolés – la faute au Régent qui a fait tourner la planche à billets. Les gens se ruent Quincampoix pour vendre leurs actions. Ça y est, la frise des crises est déroulée : 1720, 1847, 1929, 2008…
Pour s’éviter les illusions de la prochaine, les joueurs en tous genres devraient aller se promener au Louvre. Là-bas, tous les visiteurs sont richissimes. Derrière une vitrine, il y a un gros diamant qui leur appartient… autant qu’aux souverains.

Louvre Ravioli