Laurent Chéhère est notre jury au concours FÉERIES ouvert jusqu’au 26 février. Pour l’occasion, nous souhaitions vous présenter son projet « Flying Houses », une série qui offre un témoignage subtile et poétique d’une réalité sociale douloureuse de Paris. Nous lui avons posé quelques questions sur son travail.
D’où viennent ces maisons volantes ? Vous évoquez un cirque échoué le long du « périph » ?
Ces maisons volantes sont effectivement inspirées d’un cirque poussiéreux échoué le long du « périph » mais aussi par le cirque Zampano dans le film « La Strada » de Federico Fellini (1954), par les photos noir et blanc de Bruce Davidson et surtout du film « Les Ailes du Désir » de Wim Wenders (1987).
Dans le Berlin d’avant la chute du mur, juché sur l’épaule d’une statue et observant l’humanité, un ange tombe amoureux d’une trapéziste. La poésie, la noirceur, le drame, l’amour, tous les ingrédients de la comédie humaine sont là. Mon ange à moi est joué par un clown triste. Déguisé en Napoléon, il fume une cigarette sur le toit enneigé du chapiteau.
Vous mêlez à vos décors très réalistes des éléments imaginaires. Comment avez-vous travaillé ce projet ? Que pourriez-vous nous révéler de « La maison rouge » par exemple ?
Comme toutes les images de la série, il s’agit d’un photomontage réalisé après une esquisse. Pour ce projet, j’ai photographié des centaines d’éléments : toit, fenêtres, gouttière, cheminée, personnages, antennes, graffitis et ciel… Ensuite, j’assemble les éléments sur mon ordinateur avec un logiciel de retouche numérique.
Pour la maison rouge de « Zizi Bamboula », j’ai choisi de mélanger des références à un film d’épouvante « Double assassinat rue Morgue » (1932) adapté d’une nouvelle d’Edgar A.Poe (il y a un portrait de lui au 3ème étage) et l’histoire triste mais vraie de Zizi Bamboula. Rapporté de l’île de Bornéo en 1908 à Paris, il fut présenté comme « un homme singe né d’une négresse et d’un gorille ». Il n’avait pas de poil et ressemblait à un homme. Il suscita la polémique dans les journaux du monde entier. Le monde des savants était en émoi… jusqu’au moment où des naturalistes déclarèrent que l’infortuné, loin d’affirmer certaines théories nauséabondes sur l’évolution, n’était qu’un simple chimpanzé souffrant d’une maladie de peau.
Au fil de vos références (Sautet, Fellini, Edgar Poe), les « Flying houses » présentent un songe assez mélancolique. D’où vient cette mélancolie ?
Je ne suis pas sur que mélancolie soit le terme juste. Cette série consacrée à Paris et ses quartiers cosmopolites – dans lesquels j’habite – est remplie de références cinématographiques mais certaines de ces maisons témoignent d’une réalité contemporaine alarmante en dévoilant les inquiétudes d’une classe appauvrie de la société, en particulier les gens du voyage et les immigrés africains.
Il est très important de découvrir ces images à leur taille originale soit 120×120 cm. Ce très grand format laisse aux curieux le loisir d’observer les détails de ces constructions en proposant une double lecture, une de loin et une de près. J’utilise cette distance pour proposer un point de vue différent et alerter contre les idées reçues et les préjugés.
« La Grande Illusion », par exemple, semble paisible, libérée de la ville et reposante, en s’approchant c’est une métaphore de l’immigration africaine. Le coeur plein d’espoir et d’illusion, ils voguent vers un immeuble parisien aussi insalubre et surpeuplé que leur embarcation. « La Caravane » au premier abord évoque le voyage, la vie de Bohème, la liberté. De plus près, ce sont des Roms qu’on expulse de façon scandaleuse. Chacun peut y voir ce qu’il veut, l’interprétation reste libre.