Du 19 février au 9 avril, vous avez pu participer au concours PORTRAIT(S) 2019. Le jury s’est rassemblé pour délibérer cette semaine. Autour de la table étaient réunis : Fany Dupêchez et Pascal Michaut (Directeurs artistiques et co-commissaires du Festival de Vichy), Karim Boulhaya (Directeur du centre culturel Valery-Larbaud et co-commissaire au Festival de Vichy), Françoise Bornstein (directrice de la galerie SIT DOWN), Véronique Rautenberg (Directrice du service photo de l’Obs), Julie Plus. Nous vous présentons ici les images lauréates.
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1er prix du jury :
« Forêt de pins » par Valérie Baeriswyl (Krakote)
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« Située à la frontière d’Haïti et de République dominicaine, entre 1500 et 2674 mètres d’altitude, au sud-est de Port-au-Prince, la Forêt des Pins est l’une des dernières forêts natives du pays. Véritable château d’eau naturel, elle est la source de nombreux points d’eau potable et de rivières qui alimentent en aval quelques-unes des plus grandes villes du pays. Cette forêt de conifères offre un écosystème indispensable à la préservation des sols et à la régulation de l’eau. C’est une forêt splendide, en apparence… Cette forêt de pins est menacée par la déforestation humaine surtout du côté haïtien. L’État haïtien a créé une réserve forestière afin de protéger ce patrimoine naturel et de limiter le déboisement malgré des moyens insuffisants. Pourtant, durant la nuit, les paysans mettent le feu à la forêt pour abattre facilement les arbres et du même coup gagner du terrain pour cultiver carottes, laitues ou pommes de terre. Les terres incendiées sont aussi récupérées pour l’élevage des animaux, notamment des porcs qui labourent le sol et détruisent les semences de pins. Hormis l’agriculture, les habitants de la zone abattent les pins pour en faire du charbon de bois, bois de chauffage, construire des maisons et des meubles pour s’assurer un maigre revenu. L’état de conservation de cette forêt de pins est vulnérable, dévastée au début des années 1960 pour le compte d’une société privée qui était la propriété des dignitaires du régime du dictateur François Duvalier. Les arbres de cette forêt ont été abattu au profit des sociétés américaines qui fabriquaient de l’huile de résine destinée à l’aéronautique. Aujourd’hui, des 32 000 hectares de pins, il n’en reste pas plus de 6 000. Le déboisement massif de cette forêt cause chaque année inondations et glissements de terrain parfois meurtriers. La détérioration de l’environnement touche toute la ligne frontalière du lac Azuéi à Anse-à-Pitres. Ces portraits se veulent un aperçu du quotidien des habitants de la zone, d’une enclave où il manque tous les services de bases: électricité, eau, route, transport, hôpital et où la coupe du bois est une question de survie. » Valérie Baeriswyl
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2ème prix du jury :
« Tanguy » par Marie Meyer
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« Un matin d’avril 1879, le facteur Cheval trébuche sur une pierre qui lui fait interrompre sa tournée. De cette pierre, on ne sait pas grand chose, si ce n’est qu’elle se distingue par sa forme « bizarre » et « pittoresque ». En regardant autour de lui, Cheval découvre qu’il y en a d’autres ; il décide alors de collecter les précieuses pierres avec sa brouette et de les assembler pour construire le palais de ses rêves.
J’ai rencontré Tanguy un matin de 2014, alors que j’étais en retard pour me rendre à mes cours à l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles. Il se tenait appuyé au rebord de fenêtre d’un célèbre chocolatier du Sablon, quartier des antiquaires, un verre de vin blanc à la main. Mon regard avait été capté par son élégance, bien sûr, mais aussi par un je-ne-sais-quoi. C’était une évidence : il fallait que je le photographie. Avec l’audace des timides, j’ai osé l’aborder. « Prenez rendez-vous avec ma secrétaire ! » Deux semaines et un lapin plus tard, je photographiais Tanguy pour la première fois.
Cette série présente des images réalisées en Belgique entre 2014 et 2018. Les textes sont extraits de mes conversations avec Tanguy durant cette période.
La photographie est un médium qui me sert à la fois de prétexte à la rencontre et d’outil d’intensification poétique et esthétique du réel. Je travaille en général en série, en photographiant de manière plutôt systématique des groupes de personnes, des membres d’une même communauté. Des « dames à chien », une chorale de veufs, une société de psychanalystes etc. Pour moi, la bonne image est celle qui se situe dans un entre-deux entre l’être et le paraitre, lorsque la personne photographiée exprime son appartenance à un « type » mais également la liberté qu’elle peut prendre par rapport à cette appartenance. Tanguy est un magnifique sujet : à travers ses différents styles empruntés, il navigue en permanence dans cet entre-deux. En devenant son « attachée de presse » comme il aime à me présenter lorsque nous croisons une de ses connaissances, je suis également devenue sa complice, et la ville un terrain de jeu. Très rapidement, j’ai senti qu’une image ne serait pas suffisante. Et surtout, je n’avais pas envie de l’intégrer au sein d’une série de portraits d’autres personnes. Tanguy se situait en quelque sorte « hors-série ». Son appartenance à la noblesse belge, qui était mon premier point d’ancrage, s’est révélée secondaire. Comme le suggère le titre de la série, le vrai sujet, c’est l’originalité attachante de Tanguy que la photographie me permet de révéler. Les différentes distances de prise de vue dans la série (rapprochements / éloignements) rendent compte des mouvements dans la relation photographe/photographié. J’ai ainsi dû faire preuve de souplesse dans ma manière habituelle de travailler.
Toute image photographique constitue une construction du réel. Tanguy en tant que personnage créant déjà lui-même sa propre réalité m’a amenée à réfléchir en miroir sur mon médium. Ces images participent ainsi d’une méta-construction. Elles constituent un support de projection ouvrant un espace de création partagée entre le sujet et le photographe. Les images et les phrases qui rythment la série, gardent leurs surprises et leurs mystères. Ils témoignent de la tentative illusoire de cerner totalement ce « personnage » insaisissable. » Marie Meyer
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3ème prix du jury :
« Les derniers jours » par Maud Dhillit
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« A présent tout se tend, l’air est lourd et humide. On n’a plus envie, on s’impatiente. Ce sont nos derniers jours au collège ensemble. Dans l’euphorie, on repousse l’ennui quotidien. On parle d’amour, d’été, d’embrouilles, on se projette. Tu fais quoi l’année prochaine ? On expérimente et on rêve d’autres choses, alors que les angoisses des prochaines étapes se font déjà sentir. Et puis on n’y pense plus. La liberté qu’offre l’été arrive enfin. On se regarde, on s’étreint, on se tourne le dos, on reste seul. On explore une dernière fois les moindres moments. En attendant que d’autres plaisirs nous emmènent, on tente de garder des traces ici et maintenant. La période de fin d’année au collège est toute particulière : l’atmosphère change au jour le jour, les jeunes s’apprêtent à sortir du cadre scolaire, déterminés à accueillir l’été avant une nouvelle rentrée, de nouveaux enjeux. Après deux années à partager leur quotidien, il me fallait garder les contours des différentes rencontres et de ces moments furtifs, intimes et complexes qui font écho à nos doutes d’adolescents, puis d’adultes : c’est quoi la suite ? » Maud Dhillit