L’écrivain et chercheur Robert Bared sera juré au concours photo L’ART DU NOMBRE. Et pour cause : il s’est lui-même plongé dans cette thématique pour son ouvrage L’Art et le nombre publié en 2021 aux éditions Hazan. Il y explore la présence esthétique et symbolique des neuf premiers nombres dans tous les arts.
Le concours photo vous invite à faire de même, à illustrer le pouvoir esthétique et/ou la force symbolique du nombre. Pour chaque nombre les possibilités sont nombreuses. Pour vous inspirer, voici quelques exemples concrets qui viennent illustrer les nombres de 1 à 9. Robert Bared a sélectionné et commenté pour vous des photographies classiques et contemporaines afin de vous apporter une interprétation possible de l’intitulé du concours.
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Faire d’1 pierre deux coups
Alexandre Rodtchenko, L’escalier, 1930
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Cette femme fait corps avec l’enfant qu’elle porte, de sorte que sa silhouette apparaît « une » dans l’espace de représentation. Son unicité (sa solitude, peut-être) est mise en évidence par l’étendue qui l’environne et renforcée par la multiplicité des marches d’escalier. Le photographe exprime du reste ici l’idée de mouvement par les lignes diagonales : celles des marches que la femme à l’enfant (seule présence humaine au sein de cet univers minéral et rectiligne) croise de sa diagonale propre. Enfin, le redoublement créé par son ombre rejoint, à travers le nombre 2, la parfaite alternance du noir et du blanc créée par la lumière sur l’escalier.
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Couper la poire en 2
Man Ray, Noire et Blanche, 1926
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Contraste du noir et du blanc, de l’horizontal et du vertical, de la chair vivante et du masque inanimé. Le modèle n’est autre que la muse et maîtresse de l’artiste, Kiki de Montparnasse.
« Dans cette photo emblématique du thème du double, le masque et le visage sont placés côte à côte, désolidarisés l’un de l’autre. Ils sont contrastés à première vue, mais en réalité se répondent en plusieurs points : visage ovale versus masque allongé ; chair de cire blanche, cheveux noir d’ébène, et paupières closes de statue, versus joue illuminée de lumière blanche – surexposée. À égale distance de la blancheur et de la noirceur, de la chair vivante et du vernis de l’objet inanimé, de la transparence et de l’opacité, chacun d’eux est le masque de l’autre, l’un à demi plongé dans l’inconscience et l’autre conscient à demi : cette cérémonie silencieuse relève du surnaturel. » (Robert Bared, L’Art et le nombre, p. 48.)
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Jamais deux sans 3
Alécio de Andrade, « Le Louvre et ses visiteurs », ensemble de photos, 1970
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Trois religieuses, vêtues de pied en cap, se tiennent devant les Trois Grâces (1797) du peintre néoclassique Jean-Baptiste Regnault. Humour de ce contraste offert au photographe par la Providence.
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Être tiré à 4 épingles
Iain Macmillan, Les Beatles, 8 août 1969
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Les Beatles traversent une rue à un passage piéton près des studios d’enregistrement londoniens Abbey Road. Leur nombre est souligné par celui des 4 bandes blanches au sol. Comme elles, ils sont équidistants. John Lennon marche en tête, suivi de Ringo Starr, Paul McCartney (pieds nus), George Harrison. Cette photo a fait le tour du monde, puisqu’elle figure sur la pochette du dernier album studio des « Fab Four », Abbey Road.
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Je te reçois cinq sur 5
Anonyme, Musée d’Orsay, entre 1910 et 1920
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L’égalité de traitement des personnages, dans la composition, contribue à manifester leur nombre. Dans cette photo représentant « Cinq personnes à cheval dans une cour », le nombre 5 est de surcroît renforcé par son redoublement au sol grâce aux ombres que forment les cavaliers avec leurs montures.
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6 pieds sous terre
Henri Cartier-Bresson, « Quais de Seine », ensemble de photos, 1955
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Le nombre, quel qu’il soit, est d’autant plus manifeste qu’il se détache sur un grand espace. Et c’est bien ce qui se passe ici. Mais cette photo peut être lue à la fois sous le signe du 2 et de son multiple 6. Affaire de subjectivité, sans doute, qui saura privilégier l’une de ces lectures aux dépens de l’autre. Cela dit, on a tendance à voir d’abord trois couples ou paires de promeneurs, et c’est ensuite que le regard parcourt la photo (en partant du premier plan, à gauche) pour arriver aux deux personnages les plus éloignés : espacés l’un de l’autre, en réalité, promeneurs solitaires, qui viennent nuancer le sens de la photo, et lui donner plus de vérité, peut-être plus de poésie. Tous ces êtres ont avant tout les quais de Seine et l’air de Paris en partage.
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Être au 7ème ciel
Fernand Cuville, Groupe de sept forestiers canadiens
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Plus on monte dans l’échelle des nombres, plus on rencontre, dans l’histoire de la photographie, des compositions linéaires où les personnages sont disposés en frise. Ici, leur alignement est d’autant plus marqué qu’ils sont assis sur un tronc d’arbre. Ils sont saisis dans leur environnement quotidien, avec habit (et, pour certains, instruments) de travail. Cette photo use de la rhétorique du nombre, même si le 7 est ici dénué de symbolisme. Ce nombre a toujours été perçu comme parfait, en dehors même de ses références sacrées.
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Faire les trois 8
Pierre Jamet, « Quatre paires de jambes », 1936
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Deux (et même trois) nombres différents sont convoqués dans cette photo. Au premier abord, on est attiré par cet alignement de 8 jambes quasiment identiques en taille, suspendues pareillement dans le vide ; et ce premier coup d’œil (comme souvent la première impression, dans la vie sinon dans l’art) livre ici la vérité de la photo, sa raison d’être, sa force émotionnelle : exaltation de la liberté acquise en cet été 1936 grâce aux premiers congés payés, votés suite à la victoire aux législatives du Front populaire. C’est seulement ensuite qu’on associe ces jambes deux par deux, grâce à la similarité des chaussures contigües, et après avoir remarqué la paire de chaussettes. Ce décompte horizontal se double aussi d’une lecture verticale : composition, à cet égard, ternaire, avec ce ciel médian sur lequel se détachent les jambes des enfants ou adolescents assis côte à côte (lesquels passent leurs vacances dans une colonie de Belle-Île, en 1936).
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La preuve par 9
Robert Doisneau, La Ronde des pompons, 1955
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Ici, 9 enfants (nous sommes bien chez Doisneau) arborant des chapeaux de marins à pompon se tiennent par la main et dansent autour d’un bateau dessiné à la craie sur le sol. Leur danse n’a pas forcément besoin de 9 protagonistes (la célèbre Danse de Matisse n’en rassemble que 5), mais plus il y a de danseurs, plus le polygone de segments brisés qu’ils forment s’élargit et se rapproche du cercle, favorisant la « ronde ».
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