A l’occasion de son bicentenaire, la Caisse d’épargne lance un concours photo national sur le thème IL ÉTAIT UNE FOIS DEMAIN. Engagé, écolo, progressiste et académicien, le photographe Yann Arthus-Bertrand a accepté d’être le parrain de cette compétition. Rencontre.
C’est la question la plus simple, mais peut-être celle qui appelle la réponse la plus compliquée : que pensez-vous du monde d’aujourd’hui ?
Je suis pessimiste, je regarde l’avenir avec beaucoup de tristesse et de scepticisme. Ça fait cinquante ans qu’on nous rabâche les mêmes choses, mais rien n’y fait. J’ai une impression de déjà-vu. “Les riches s’enrichissent et les pauvres font… des enfants !” a écrit Francis Scott Fitzgerald dans “Gatsby le Magnifique”. A ma naissance, nous étions un peu plus de 2 milliards. Aujourd’hui, nous sommes 7,5 milliards. Au cours de ma vie, j’aurai vu la population mondiale plus que tripler, bientôt quadrupler. La pression sur nos ressources naturelles sera insoutenable. Nous ne pouvons décemment pas continuer à exploiter la planète comme nous le faisons aujourd’hui, c’est absurde et terrifiant. En novembre dernier, 15 364 scientifiques issus de 184 pays signaient un appel pour alerter sur l’état de notre Terre à la une de grands quotidiens dont, en France, “Le Monde”. Ceux qui prennent rarement la parole lançaient un immense cri d’alarme. Le capitalisme détruit notre univers. Jamais autant de personnalités de ce domaine ne s’étaient rassemblées. Mais l’info est retombée comme un soufflé… C’est hallucinant.
Ce qui est sûr, c’est qu’il faut arrêter de penser, il faut agir. Crises, réchauffement climatique, guerres, réfugiés… On ne peut pas y faire grand-chose mais, si chacun prend son rôle à cœur, on peut encore essayer. C’est le moment de s’engager. Ça paraît nunuche, mais je pense sincèrement que seul l’amour sauvera le monde.
Pensez-vous que la photographie serve à faire naître une conscience collective sur les problèmes environnementaux ?
Chacun peut lancer un mouvement, créer de l’audace. Mais c’est seulement grâce à des actions communes que les choses avancent. Comme je vous le disais, nous savons que nous agissons mal, mais nous sommes dans le déni, nous ne voyons plus. Je pense qu’il faut réduire l’échelle des initiatives. Les bons débats ont lieu entre voisins, entre amis, entre collègues… Ce sont les architectes, les plombiers, les boulangers, les ébénistes, les cordonniers, et donc aussi les photographes, qui, tous ensemble, contribuent à créer une conscience collective.
Vous savez, j’ai commencé mon métier en photographiant des lions. Aujourd’hui, ils sont condamnés. Plus personne ne veut vivre sur la même terre que ces grands carnivores, ils n’ont plus leur place parmi les hommes. Je voulais alerter, montrer, changer. C’est ce que je continue à faire avec mes films, mes images et mes mots.
Pourquoi parrainer le concours photo de la Caisse d’épargne ?
Parce que j’essaie toujours, le plus possible, de soutenir les bonnes initiatives. Cette compétition permettra peut-être à des centaines de personnes de se renseigner autour d’elles, de se demander comment faire mieux. De réfléchir aux conséquences de leurs actes quotidiens, à ce qu’elles laisseront aux générations futures. Je trouve, par exemple, que les jeunes mènent une véritable réflexion sur la consommation. C’est super !
Manquons-nous d’informations pour être conscients de nos actes ?
Au contraire, nous en sommes inondés. Mais plus le sujet est omniprésent, moins on le voit. Tout ce que je vous dis, tous ces chiffres, tous ces rapports, on les trouve partout. On vit dans le déni. Donc toutes les actions, comme le concours de la Caisse d’épargne, sont bonnes à prendre pour réenclencher quelque chose ! Elles devraient être mieux mises en avant.
Quel serait le photographe à suivre ? Est-il engagé ?
J’aime beaucoup le travail de Sebastião Salgado. Et en particulier, j’admire sa série “La Main de l’homme” : ce qui aurait pu être un sujet simple est devenu un chef-d’œuvre grâce à lui. C’est un exemple de ce que devraient être les ambitions photographiques. J’ai dit quelques mots à l’Académie des beaux-arts lorsqu’il y est entré [en décembre 2017], s’installant dans le fauteuil du grand Lucien Clergue.
Si vous deviez participer à ce concours, qu’auriez-vous choisi de développer et quel aurait été votre message ?
Il est évident que je serais allé photographier le milieu associatif. Ceux qui font. Chaque jour. J’aurais enquêté, trouvé quelqu’un qui s’engage. La France, c’est le pays des associations par excellence. En 2017, on en dénombrait 1,3 million, et elles étaient animées par au moins 13 millions de bénévoles. Ce sont elles qui font bouger les choses. Si je participais au concours, je ne sais pas exactement ce que je ferais, mais je montrerais des gens, c’est sûr. Leur cœur, pas des éoliennes ou une nouvelle invention.
Il n’y a rien de plus dur que d’illustrer le cœur des gens. Leurs qualités. Leur engagement. C’est ça, la clé de voûte de ce concours. Réfléchir à ce que le monde sera dans deux cents ans, en prenant en compte les deux cents dernières années [si on utilise la durée d’existence de la Caisse d’épargne comme échelle de temps]. Qui serons-nous ? Combien d’hommes et de femmes vivront sur la planète ? Où en sera-t-on en matière de technologie ? Serons-nous submergés par les eaux ? Vivra-t-on à l’air libre ? Les pieds sur terre ? La pollution est notre ennemi invisible ! Tout est empoisonné. Ça, c’est un sujet par exemple : le glyphosate est la star du moment. En 1962, c’était le DDT… Jamais je n’aurais pensé vous dire autant de choses déprimantes. Et pourtant, comme le dit un proverbe africain, rien ne sert de pleurer
dans le noir, il faut allumer une lumière ! • Interview Eléonore Ribes