BANDES À PART

par François Bénard
© Wvettor (talent Wipplay) / Louvre Ravioli

Au Louvre, les antiquités égyptiennes occupent une sacrée place. Écriture, agriculture, croyances, bijoux, transport… Tous les thèmes de la vie sont ici, la mort y compris. La grande inconnue de l’after show a suscité pas mal d’interrogations et d’inspirations. De la plus petite amulette à une chapelle de mastaba entière, les salles exposent toutes les dimensions de la création.
Une pièce est notamment dédiée aux sarcophages. En se promenant parmi les allées, le visiteur découvre une série de sarcophages alignés par ordre de taille. Alignés comme des poupées russes, ils s’emboitaient pour protéger la momie d’une prêtresse de Karnak. Un peu plus loin, les visiteurs s’arrêtent sur une ultime poupée, chétive, mystérieuse. Il s’agit d’un homme adulte de 24 siècles, sorti de sa boîte.

Momie recouverte de ses "cartonnages" - époque ptolémaïque, IIIe - IIe s. av JC © Louvre Ravioli
Ouvert © Clemdelav

Bandes à part.

Les égyptologues hésitent sur son nom : il s’appellerait « Pachéry » ou bien « Nenou ». Pour se rassurer, appelons-le Panou. Bien aligné, les pieds rangés dans une boite, Panou attend pudiquement l’éternité les bras croisés. Les bandelettes de lin sur son visage lui offre cette inexpression labyrinthique, universelle. On dirait l’un des amants de Magritte. Son large collier ousekh lui recouvre la poitrine. Ce plastron fleuri vise à rendre au défunt revivifié l’usage de ses membres en le libérant de sa gaine de momie. Le collier de pétales est étiré par deux têtes de faucons. L’animal – capable de planer des lustres face au soleil – relie les mondes terrestre et céleste.

Arc-en-fleurs © Wvettor

Plus bas, un tablier présente la momie allongée de Panou entourée d’Isis, Nephthys et des fils d’Horus, protecteurs des momies. Les visages sont verts comme la sève régénérante du Printemps. Au-dessus d’eux, des paires d’ailes déployées et un scarabée évoquent la renaissance du défunt. Ce coléoptère – aussi appelé bousier – roule en boule les excréments de mammifères jusqu’à un trou pour y pondre ses œufs. Pour les égyptiens, sa progéniture née de la boule nourricière rappelle la naissance du soleil tous les matins à l’horizon. La poésie de cette fangeuse parabole rappelle le lotus qui fleurit courageusement au milieu des marais.

Le masque funéraire de Panou – exposé aux côtés de la momie – reprend les traits d’un visage idéalisé. Une assez pâle figure pourrait-on dire, comparé au labyrinthe de lin qui aspire tous les regards. Certains accessoires de la vitrine nous montrent avec quoi étaient extraits les organes de Panou avant d’être placées dans des vases canope. Les contenants sacrés disposés au pied de la vitrine sont coiffés par une tête des fils d’Horus. Ces génies veillent sur les organes de Panou : Amset, à tête humaine, garde le foie – Douamoutef, à tête de chacal, l’estomac – Hapy, à tête de babouin, les poumons – Qebehsenouf, à tête de faucon, les intestins.

Une farce très sérieuse

Les anciens Égyptiens pensent que l’homme est constitué de 3 éléments immatériels : le Ba (l’âme mobile), l’Akh (l’esprit lumineux) et le Ka (la force vitale). Pour s’animer après le trépas et assurer son éternité, ces 3 éléments ont besoin du corps. Ils ont donc mis au point la momification de leurs défunts. Différentes catégories de momifications sont proposées. Les pompes funèbres de l’époque déroulent déjà un marketing bien ficelé (avec du lin, beaucoup de lin). La majorité des familles peu fortunées offrent l’entrée de gamme à leur défunt : lavage du corps, déshydratation rapide des tissus, quelques amulettes en terre cuite glissées sous l’aisselle. Mais ce n’est pas le cas de Panou, qui s’est offert une momification luxueuse digne d’une recette de prêtre étoilé.

En vitrine © Tisa.Arles

On pourrait reformuler la recette de la momie en ces termes :

« Grattez le cerveau du défunt par les fosses nasales à l’aide d’un crochet de fer chauffé à blanc. Touillez la boite crânienne jusqu’à obtenir une bouillie de cerveau à extraire par l’orifice pratiqué. Versez un peu de soude pour nettoyer les restes puis coulez de la résine de conifères complétée de cire d’abeille à l’aide d’un cuilleron nasal. Pour le corps : fendre le flanc avec une pierre aiguisée pour extraire tous les organes. Lavez l’abdomen avec du vin de palmier, farcir de myrrhe concassée et de cannelle. Attention… Ne pas oublier de remettre le cœur – siège de la pensée – dans l’abdomen farci. Poumon, estomac, foie et intestins seront servis à part. »

« Badigeonnez ensuite le corps d’une couche de bicarbonate de soude pour éliminer l’eau des tissus. Placez le corps au soleil en plein désert, à chaleur peu tournante. Enfournez 70 jours environ. Sortez du four puis lavez le corps avant de le recouvrir d’huiles et résines. Ouvrir à nouveau. Remplir la cage thoracique à l’aide de tampons de lin imprégnés de résine, de sciure de bois et d’aromates. Pensez à bien recoudre avant de poser des bandelettes en lin. Démarrez par les extrémités pour remonter vers la racine des membres. Ne pas hésiter à repasser sept fois. Glissez des amulettes entre les bandelettes. Enroulez le tout d’un suaire et le placer dans un sarcophage. Scellez la tombe puis laissez reposer pour l’éternité. C’est prêt. »

Mythe d’Osiris, morceaux choisis.

Les origines de cette recette sont plus complexes que l’histoire de la Tarte Tatin. C’est le mythe d’Osiris qui évoque le premier être momifié. Osiris est le premier souverain d’Égypte, bienveillant et apprécié de son peuple. Son frère Seth – souverain des terres désertiques – est si jaloux qu’il décide un beau jour de tuer Osiris puis de le jeter dans le delta du Nil. Isis, l’épouse d’Osiris, accompagnée de sa soeur Nephtys, retrouve le corps de son mari. Face au cadavre en décomposition, les deux soeurs forment une digue pour préserver le corps avant de le cacher parmi les bambous du delta. Manque de chance, Seth croise le corps au cours d’une partie de chasse. Les retrouvailles sont malheureuses. Le frère encore tout boursouflé de rancoeur, découpe le corps de son corps en quatorze morceaux éparpillés à travers l’Égypte.

Découpe © Philduke

Qu’à cela ne tienne, Isis et Nephtys – transformées en oiseaux – survolent alors l’Egypte en quête des fragments surnageant dans les eaux d’Egypte. Patientes, elles retrouvent un-à-un les morceaux et reconstituent le corps d’Osiris qui sera momifié par Anubis – dieu de l’embaumement. La suite du mythe nous raconte qu’Isis (toujours en oiseau) s’accouple avec le puzzle revivifié d’Osiris. De cette union peu banale naît Horus, une progéniture à tête de faucon qui affrontera Seth, l’oncle faisandé. Suite à un long et âpre combat, Horus vainc. Il achève ainsi la renaissance de son père Osiris qui va pouvoir désormais régner sur l’au-delà. Une renaissance qui servira de modèle aux défunts de l’Égypte antique.

Dans ce mythe pimentée, Osiris mort devient source de vie. Tout comme la végétation, il se décompose avant de renaître. Son corps putréfié échappe ses fluides pour fertiliser les eaux du Nil qui font fleurir les champs. Isis recueille également ses fluides pour donner naissance à Horus, symbole de continuité. Comme Osiris, le défunt doit être recomposé pour devenir ce puzzle revivifié capable de s’offrir un nouveau point de départ. Il ne renaîtra pas sur la terre des vivants mais dans l’au-delà. Il n’existera plus à titre individuel, mais sera intégré à un cycle éternel, comme composante de l’univers. D’ailleurs, avec son labyrinthe sur le visage, Panou ne détient-il pas cette expression universelle ? Étrangement, personne n’aspire à être Panou. Mais ne serait-il pas aussi ce « Monsieur tout le monde » qui aspire tous les regards ? Pour s’en convaincre, il suffit juste de faire tomber le masque.

Louvre Ravioli

 

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