Le Grand Palais présente une rétrospective éblouissante de Seydou Keïta. Cet artiste immense représente la société malienne des années 1940 à 60. Sa photographie marque la fin de l’époque coloniale et de ses codes de représentation, elle ouvre « l’ère d’une photographie africaine qui, tout en puisant dans ses racines et dans son histoire, affirme sa modernité » indique Yves Aupetitallot co -commissaire de l’exposition avec Elisabeth Whitelaw.
Une plongée dans un studio photo de Bamako
Commerçants, fonctionnaires, hommes politiques, le Tout Bamako est allé se faire photographier chez ce magicien du portrait. Ils ont choisi les costumes et les accessoires, les chapeaux, les bijoux, qui correspondaient le mieux à l’image qu’ils souhaitaient donner d’eux-mêmes.
Metteur en scène hors pair, le photographe magnifie ses sujets, en leur faisant prendre des poses avantageuses, dans son studio, debout, assis ou allongés, une attention particulière portée au regard et à l’emplacement des mains ; les tissus des boubous et des fonds à motif décoratif s’y fondent harmonieusement.
Les femmes sont élégantes et sensuelles, les hommes sont fiers et les enfants charmants. Leurs poses sont souvent de trois quart et rompent ainsi avec l’époque précédente où l’usage était de faire poser les sujets face à l’objectif.
Une riche expo photo ainsi qu’une magnifique vidéo.
Près de 300 tirages sont accrochés de manière chronologique. 20 tirages argentiques modernes sont tirés en grand format, dans les premières salles, donnant à ces images le statut d’œuvre d’art. Parmi eux, près de 120 tirages vintage ont été tirés à l’époque du studio, par Seydou Keïta ; certains ont été retrouvés chez le fils de son ami encadreur, dans un carton, les gens photographiés n’étaient jamais venus les chercher.
Assister aux mises en scène et aux prises de vue grâce aux films qui accompagnent l’exposition est jubilatoire et très instructif. Le regard bienveillant de l’artiste et l’attention des sujets à leur pose et à leurs costumes en disent long sur la société malienne de l’époque. C’est une plongée instructive dans cette période de l’histoire, une aide à la compréhension de l’époque et du pays et une exposition à ne surtout pas rater.
Focus sur 2 portraits exposés, 2 histoires racontées.
« Ce gros Monsieur, là, c’est Billaly. A Bamako on l’appelait le « géant » ». Un des rares clients, donc, venu se faire « tirer le portrait « » au studio, et que Seydou Keïta pouvait identifier. Outre son aspect physique hors du commun il s’agissait aussi d’un notable, connu du tout Bamako. Il porte ici un “grand boubou complet” en bazin, tissu d’importation damassé très prisé au Mali, et est coiffé d’une chechia en feutre, dans la tradition musulmane. Il tient fièrement sa petite fille sur ses genoux. Keïta, qui ne faisait habituellement qu’une seule prise de vue par photo, se souvient : « Ce jour-là, on a fait plus de quatre poses, d’abord seul, puis avec l’enfant. »
« Keïta avait une préférence pour la lumière naturelle, et ce portrait a donc été réalisé, comme tant d’autres, dans la cour de son studio. Cherchant toujours à donner la plus belle image de ses clients, Keïta a choisi ici un cadrage inhabituel, en se rapprochant de son modèle, afin de magnifier la grâce et la sensualité de la pose qu’il a soigneusement mise en scène. Le placement des bras, des mains et du visage, appuyés sur le dos de la chaise, fait ressortir la beauté de cette jeune femme au regard mélancolique. »
Seydou Keïta (1921-2001) : notes biographiques.
Né vers 1921 à Bamako à cette époque capitale du Soudan français, Seydou Keita gagnera sa vie comme photographe de studio jusqu’en 1962. A la demande des autorités, il devient photographe officiel du gouvernement de la République soudanaise, après l’indépendance du pays proclamée en 1962. Sa première exposition personnelle en 1994 à la Fondation Cartier montre des tirages modernes, un mois plus tard en décembre il est exposé aux Premières rencontres de la photographie africaine à Bamako. Il meurt à Paris en 2001.
Un très beau catalogue accompagne l’exposition.
textes de Souleymane Cissé, Jérôme Neutres, Yves Aupetitallot, André Magnin, Robert Storr et Dan Leers, éd. RMN, 224 p., 250 ill., 35 euros.