Sous la verrière de l’aile Richelieu, on voit pousser des arbres et des marbres. Parmi les nymphes, les lions et les chevaux, une Jeanne d’Arc se planque dans un coin. Une gueule d’ange du Moyen-Âge en pleine conversation avec le ciel. Celle qui fut le jouet de son roi Charles VII pour bouter les anglais hors de France, sera sculptée 4 siècles plus tard pour devenir la mascotte d’un autre roi : Louis-Philippe. Après moult révolutions, ce dernier commande une Jeanne pour décorer le jardin du Luxembourg et montrer aux parisiens qu’ils partagent une histoire commune. Aujourd’hui, la symbolique s’offre une variante plus obscure. La flamme du Front National brandit ce fétiche pour incarner la France contre l’Union Européenne. Entre hors-sujet et raccourci, la pauvre Jeanne very dark semble griller à nouveau.
Tonalité de nuage pour une mission peu coton
Vers 1425, la lorraine entend ses voix. Tonalité de nuage pour une mission peu coton : remettre sur pied le domaine royal de Charles VII. En pleine Guerre de 100 ans, le roi est étouffé par les bras des ducs bourguignons liés aux anglais. Les faiseurs de moutarde occupent même Paris. En Lorraine, Jeanne convainc les notables de son village de lui prêter un cheval et des cavaliers pour retrouver le roi à Bourges. Sans croire à ses compétences militaire ou politique, Charles VII va la brandir comme un fétiche pour galvaniser ses troupes. Et ça marche.
La mascotte fait décamper les anglais d’Orléans avant de permettre au roi d’être sacré à Reims. Très vite, le vent tourne. Le roi, renforcé, fin stratège, temporise et noue des alliances avec les ennemis d’hier. Jeanne, elle, continue à faire comme elle l’entend et fonce à Paris pour chasser les bourguignons. Prisonnière, elle est jugée à Rouen par un tribunal anglo-bourguignon qui rêve de voir la sorcière de 19 ans sur un bûcher. Au procès, le roi ne fait rien. Même l’odeur du douteux barbecue de Rouen ne l’atteint pas. Le flair en politique conduit parfois à se boucher le nez. Une fois les anglais partis, il la fera réhabiliter pour soigner sa promotion.
Une statue pour réconcilier les histoires de France
Quatre siècles plus tard, Louis-Philippe – le so called « roi des français » – commande cette Jeanne à nouveau brandie comme un fétiche. En 1852, la France sort d’une période agitée : Révolution, République, Consulat, Empire, Restaurations… Une bouillie d’héritages qui provoque des révolutions tous les 4 matins. Le roi en a un peu ras-le-bol et veut assurer la paix sociale.Il commande des statues par centaines pour décorer les parcs et les rues afin de rassembler les français autour d’un patrimoine commun. Jeanne doit décorer le jardin du Luxembourg avec d’autres femmes illustres de l’histoire de France : Anne d’Autriche, Louise de Savoie, Marie de Médicis… A cette époque, l’Histoire devient une discipline où l’on fabrique des icônes et l’on choisit des instants qui vont remplir les livres d’histoire. La France devient une femme en topless sur les barricades. Jeanne fait aussi partie du plan de com’ mais elle reste en armure.
À nouveau grillée… par la flamme du FN
Malheureusement, on peut faire plein de choses avec un même objet. Transformer une balançoire en gibet par exemple. Au début du XXe siècle, Jeanne devient la sainte patronne de la mythologie nationaliste. On la brandit à maintes reprises pour justifier la furie française et l’esprit de revanche contre les allemands. Les Croix de feu, le Front National… De nouvelles flammes pour Jeanne. Avec Jean-Marie Le Pen, elle symbolise un recours contre tous les « envahisseurs », avec Marine Le Pen elle incarne la France contre l’Union Européenne.
Après les troupes anglaises d’Edouard VII, Jeanne devrait protéger la France contre les immigrés et les directives de Bruxelles…Raccourci illustrant une pensée déjà courte, une pensée où le temps et l’espace ne devraient plus jamais bouger. Brandie par intérêt, agitée comme un symbole. Elle, la révoltée sans calcul qui fit comme elle l’entendait. Victime post-mortem d’une manoeuvre politique pour rassembler des voix, mais quelles voix…