UN GRAND PALAIS POUR TOUS LES GOÛTS

par François Bénard
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Sous la nef du Grand Palais, y’en a pour tous les goûts : expos, patinoire, concerts, courses de chevaux, défilés de mode, fêtes foraines… Y’en a aussi pour toutes les époques dans cet édifice Belle Epoque. La façade de pierre avec ses colonnes et ses marbres, donne d’abord l’impression d’abriter un Panthéon antique. Puis, une fois l’entrée franchie, on découvre un volume de gare ferroviaire porté par une structure métallique avec de gros rivets vert-de-gris. On s’imagine en élégant avec un chapeau haut-de forme, tirant la montre à gousset de la redingote pour vérifier l’heure du train… Puis finalement, on se ravise. En levant les yeux vers l’immense verrière, le visiteur a plutôt envie de s’envoler. La nef de verre qui ouvre sur les nuages met toutes les têtes à l’envers. Une force intemporelle cette verrière, si lumineuse, qu’elle semble faire de l’ombre à tout le reste.

 

1900 : une expo XXL pour accueillir le XXE siècle

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Le Grand Palais est construit en 1900. Une date avec deux grands ronds comme des yeux grands ouverts. A l’époque, Paris accueille l’exposition universelle et devient le showroom de la création. Situé entre la Tour Eiffel et les Invalides, l’événement voit pousser des géants : le Palais de la Fée électricité fait 420 mètres de long, le Palais de l’Optique abrite une lunette de 120 mètres de long, le Pont Alexandre III est porté par une arche de 108 mètres. Toutes les disciplines sont en vitrine : chimie, métallurgie, vapeur, TSF, optique, cinémo-théâtre, mécanique, électricité… Beaucoup de sciences mais pas seulement. Parmi ces cathédrales, on compte aussi le Grand Palais. Avec 240 mètres de long, 45 mètres de haut, il colle parfaitement à la démesure standard de l’époque. Destiné à devenir le « Monument consacré par la République à la gloire de l’art français », il accueille en 1900 la rétrospective de l’art français du siècle passé. David, Ingres, Delacroix, Courbet… De grands noms qui doivent trouver leur place aux yeux des visiteurs. Pas facile face à ce génial volume de verre et d’acier.

 

Quand verre et acier touchent du bois

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Pour ériger ce temple de l’art officiel, on sélectionne un casting bien franchouillard : 2 Albert (Louvet et Thomas), 1 Henri (Deglane) et 1 Charles (Girault). En 3 minuscules années, ils réalisent ce volume géant dans le goût éclectique de l’époque qui mêle tous les styles remis au goût du jour : néoclassique, néobaroque, néobyzantin, néorenaissance… Au-delà de ce néo-recyclage, la véritable innovation vient de sa structure métallique. Depuis les premiers ponts en fonte du début XIXe*, on découvre la flexibilité de l’acier. Désormais, tout est permis. Charles Girault ose et propose une toile d’acier de 8500 tonnes pour porter la verrière. Certains conservateurs ont les nerfs à vif face à la nef de verre, d’autres sont verts de rage face au vert-de-gris. Charles Garnier – qui avait déjà hurlé pour la Tour Eiffel – se met à radoter. Mais peu importe, rien n’empêchera la construction du Grand Palais qui touche du bois. On est sur les bords de Seine par ici. Pour stabiliser la structure, les ingénieurs ont disposé des milliers de pieux de chêne au niveau de la nappe phréatique sur lesquels vont reposer les piliers d’acier.

 

Battre la démesure

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Au fil du siècle, l’édifice va souffrir. Certains rivets tombent, l’acier s’effrite, la structure bouge… Entre 1993 et 2005, l’édifice retrouve une nouvelle jeunesse. En plus du verre feuilleté venu renforcé la nef, on coule du béton sous les piliers pour que le Grand Palais rebondisse. Depuis sa création, il ne fait que ça : rebondir. Entre un salon de l’auto et une course de chevaux, d’immenses rétrospectives sont organisées. Des scénographes habillent le lieu pour accueillir Braque ou Picasso, il faut apprivoiser l’espace pour valoriser les œuvres et faciliter le parcours du visiteur. On place des podiums, on se joue de la lumière, on agence des sous-espaces pour faire briller les œuvres. Avec la Monumenta, Buren ou Boltansky créent des univers qui occupent tout l’espace. Parfois, les Beaux Arts originels laissent place à l’original : patinoire, fête foraine, discothèque géante… On retrouve la belle folie de l’exposition universelle. Le visiteur a les yeux grands ouverts, comme en 1900. Il tourne, glisse, saute, danse pour tenter de suivre ce Grand Palais qui n’en finit plus de battre la démesure.

Louvre Ravioli

 

* Lire « Faut Pas le prendre pour un pont » (oct. 2014)

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