LA PIRE AMIE DU LOUVRE ?

par François Bénard
© PClabots

Les jours de pointe, la pyramide peut avaler des chenilles de 300 000 visiteurs qui s’enroulent autour d’elle. Une file d’attente proche du pèlerinage pour des fidèles sûrs d’être éblouis, avec un Konica autour du cou en guise de coquille saint Jacques. Commandée en 1983, l’incontournable pyramide est inaugurée en 1989. Un chantier de 5 ans qui fera beaucoup de bruit, et pas seulement à cause des marteaux piqueurs. A l’époque, nombreux sont les frileux à claquer des dents face à ce projet trop irrespectueux de l’histoire du Palais. Une pyramide considérée par certains comme la Pire amie du Louvre.

 

Ne rien casser, ne rien cacher.

La pyramide du Louvre © PClabots
© Mikaelqbt

En 1981, Mitterrand et son bras de culture Jack Lang, annoncent que le Palais du Louvre sera entièrement dévolu au Musée. Le ministère des finances logé dans l’aile Richelieu doit faire ses cartons. Jusqu’alors, la Cour Napoléon III est un parking où s’entassent les Peugeot 204 des fonctionnaires qui carbonisent les façades du Louvre. Le projet du Grand Louvre doit inclure une entrée digne de ce nom mais la chose n’est pas facile. Mettre un coup de pioche au Louvre, ça se réfléchit. Impossible de toucher un cheveu de la façade ni même de rompre son harmonie. Ne rien casser, ne rien cacher. Mitterrand qui vient de loucher sur la National Gallery de Washington fait appel à son architecte : Ieoh Ming Peï. Le sino-américain va bachoter l’histoire de France avant de proposer sa pyramide. Une pyramide en sous-sol dont on ne voit que la pointe rabattant le jour. Tout sauf une chambre funéraire, exigüe et silencieuse, ce hall de lumière se destine à accueillir un flot continu de pèlerins, bâton de selfie en main.

 

Plusieurs fois sortie des cartons avant le gros carton.

Louvre © Elias Sebbar

L’idée d’une pyramide au Louvre n’est pas nouvelle. Plusieurs architectes l’ont déjà sortie de leurs cartons. Au début du XIXe siècle est lancé un projet de monument commémoratif de la Révolution. Une pyramide apparait alors sur les cansons. Symboliquement, le choix est justifié : figure parfaite, stable et équilibrée pour faire oublier le gros chahut de 1789. Finalement, le projet est abandonné, la pyramide doit retourner dans ses cartons avant de ressortir un peu plus tard pour un monument dédié à Napoléon. Le choix est plus évident encore. La pyramide répond à l’égyptomanie du moment. Depuis la campagne d’Egypte, Napoléon et Vivant Denon – son Jack Lang de l’époque – sont revenus en France avec quelques souvenirs. Sous Louis-Philippe, on découvre la civilisation égyptienne grâce à Champollion qui traduit la pierre de Rosette. Les musées se remplissent d’amulettes et de sarcophages ; Osiris, Horus et Isis se retrouvent sur les quais de Seine. Drôle de Nil. A l’époque, la France se fait aussi offrir l’obélisque de la Concorde et des sphinx sont installés tout près, sans compter les chameaux de Vincennes… Ieoh Mingh Peï s’est donc inspiré de toute cette histoire-là avant de sortir sa pyramide. Pourtant, il a eu bien du mal à convaincre.

 

La pire amie du Louvre ?

Under the ground © ChristianL

Lorsque le projet est lancé, beaucoup de monde se met à gronder : des ronds de cuir qui ne veulent pas déménager à cause d’un triangle de verre, des riverains qui ne veulent pas dériver face au chantier, des conservateurs qui veulent trop conserver… Avec le recul, ça semble un peu fou car l’histoire du Louvre n’est qu’une succession de projets hétéroclites. Lorsque Lemercier érige le Pavillon de l’Horloge en 1643 – 100 ans après la première Cour Carrée de Lescot – il se fera copieusement insulté par Nicolas Poussin, indigné par la surcharge. Lorsque Visconti ajoute l’aile Richelieu au XIXe siècle, on lui reproche d’avoir conçu un pastiche néo-classique ayant la valeur d’un décor en plâtre pour vaudeville. Et à propos de plâtre, Peï devra aussi en essuyer quelques-uns face aux plus conservateurs. Pourtant, en terme de conservation, le Louvre peut remercier sa pyramide car sa pointe de verre a bien fait reculer la date de péremption.

Louvre-Ravioli