LE MAÎTRE CUBE DE MÉDITERRANÉE

par François Bénard
© Philippe Marc

Le MuCEM, c’est la Méditerranée contenue dans un maître-cube. Ce volume bleu ouvert est enveloppé dans une paroi en verre et une dentelle de béton. Entre les deux enveloppes, une rampe entourant la structure permet de regarder la Méditerranée, cette « mer au milieu des terres » qui vient ici s’inviter sur terre. On se promène là-dedans comme un poisson dans l’eau. Tout suggère la Méditerranée et son histoire, jusque dans le nom de l’édifice : le « J4 ». Ancien hangar n°4 du « Port de la Joliette », baptisé ainsi en l’honneur de Jules César venu camper avec ses troupes par ici. Avec le Fort Saint-Jean juste à côté, le site semble imprégné par le militaire. Pourtant, le lieu est tout sauf une citadelle : ses passerelles ouvrent sur la terre et ses broderies ouvrent sur la mer.

© Nomad

Un entier tout naturel ?

De loin, le J4 ressemble à un volume hyper simple dessiné par des arêtes de 72 mètres. Sacré poisson. En mathématiques, on appelle ça un carré parfait car il est composé d’entiers naturels : « 1,2,3,4 » etc. Pas de virgule, pas de décimale, même pas mal au crâne. On lit un peu partout que Ricciotti a conçu ce volume « sous la surveillance de Pythagore ». Pythagore ? Et pourquoi pas Euclyde, Thalès, Villani ou Platini ? En fait, chez Pythagore, la nature s’explique avec les entiers naturels positifs. Le vieux barbu – en toge blanche et sandalettes face à la Méditerranée – n’envisageait que des nombres constructibles à la règle et au compas, avec des droites et des cercles. Exit les cônes, les spirales et autre tournicotis… L’architecte Ricciotti s’en est inspiré pour façonner ce volume. Mais est-il vraiment si simple ? En se rapprochant du cube, le niveau de complexité de la structure se précise. On comprend assez vite que des ingénieurs ont demandé à Pythagore de regarder ailleurs, le temps de lancer leurs algos avec tout plein de chiffres après la virgule.

© Lolodallo

Une structure brodée dans le béton

© Philippe Marc

Toute la broderie du J4 est conçue dans un béton fibré, inventé pour l’occasion. Grâce à une technologie de pointe, très pointue même, le matériau est ciselé et assemblé à la perfection. En voyant tout ce nouveau béton, la Méditerranée qui s’y connaît en la matière, n’a même pas dû être surprise. Vers le Ier siècle, elle a déjà vu les romains améliorer la composition du mortier égyptien – argile, sable et chaux – pour fabriquer leurs ports. A l’époque, ils cherchaient une matière qui puisse prendre dans l’eau. Sécher dans l’eau ? La mince affaire. C’était mission impossible jusqu’au jour où un curieux s’est plu à ajouter des cendres volcaniques dans la recette… Pour le J4, il est difficile de savoir comment les ingénieurs en sont venus à mélanger de la silice et de la fibre pour composer leur dentelle. Toujours est-il qu’ils ont inventé une matière nouvelle, comprimée et inflexible, un béton qui ne durcit peut-être pas dans la mer mais qui donne l’impression de se promener dans les airs.

© K IVAR

Tour de Babel à Marseille

Sur les rampes du J4 flotte comme un parfum d’orient. Les arabesques dessinées dans le béton laissent filtrer une lumière qui répète les reflets du soleil sur les flots. De façon très « mer à mer », on pourrait comparer ça aux mailles d’un filet de pêche. Pour atteindre le toit, il faut faire plusieurs fois le tour du cube, telle une Tour de Babel marseillaise, avec terrasse et Ricard au sommet. Pendant la ballade, on scrute la mer comme un sultan regarderait son harem, planqué derrière un moucharabié. Je me suis toujours imaginé l’enturbanné avec un petit sourire en coin, observant ses femmes batailler ferme pour savoir qui finira sous sa couette. Rien de tel au MuCEM. La Méditerranée est l’unique favorite de Marseille. Tout est calme, il n’y a plus de bataille sur le J4.  J4 ? On dirait pourtant une annonce à la bataille navale. Une sorte de « Touché Coulé » particulier où l’on se retrouve à la fois « Dans l’eau » et très « Touché ».

Louvre Ravioli

Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée
Rudy Ricciotti associé à Roland Carta
2013

© Philippe Marc