ROOTS
Harry Gruyaert
Textes de Dimitri Verhulst
101 photographies
160 pages
« Il m’est ainsi devenu possible d’envisager de travailler sur la Belgique, car je n’y vivais plus. Il est difficile de travailler sur l‘endroit où l’on habite. On était en 1973 et je n’y travaillais qu’en noir et blanc. Tout me paraissait gris. Je suivais parfois le calendrier des innombrables fêtes locales, carnavals, processions et autres, très particuliers en Belgique et sujets à de spectaculaires débordements alcoolisés.
J’ai mis environ deux ans à y voir la couleur qui m’intéressait.
Ce fut une révélation.
Par ailleurs, j’ai commencé à voyager en photographiant au Maroc, en Inde, toujours en couleur. Mais il y avait la Belgique, avec ce rapport de refus et d’attirance en même temps.
À New York, en 1976, j’ai vu l’exposition « William Eggleston’s Guide » au MoMA, avec de superbes tirages » dye transfert « , qui donnaient une grande sensualité à la couleur. La découverte de la photographie couleur américaine a été essentielle : j’ai ressenti une profonde affinité avec cette mouvance, qui m’a encouragé à continuer à photographier la Belgique en couleur.
Mes influences proviennent surtout du cinéma et de la peinture. Pour moi la photographie n’existe que lorsqu’elle a pris corps dans un tirage, qui doit être l’expression juste de ce que je recherche. Je passe, comme beaucoup, plus de temps à sélectionner mes images et à travailler mes tirages qu’à photographier.
En 2000, j’ai publié aux Éditions Delpire mon premier livre sur la Belgique : « Made in Belgium », avec des poèmes originaux d’Hugo Claus. La Belgique est probablement le pays européen qui s’est le plus vite américanisé après la Deuxième Guerre mondiale, d’où la puissance de cette banalité, confrontée au surréalisme et à la force des traditions conservées malgré tout, alors que j’y travaillais avant le tournant du siècle.
Aujourd’hui, c’est beaucoup moins flagrant, l’uniformisation gagne, avec une autre culture de la banalité, moins ancrée dans les traditions. Beau, laid, banalité du beau, beauté de la laideur. Ces contradictions sont aussi les miennes. »
☞ Voir aussi l’article « Harry Gruyaert flâne avec Hermès »