Dans 3 semaines, Thierry Bouët exposera son projet AFFAIRES PRIVÉES aux Rencontres de la Photographie d’Arles. Cette série insolite représente des objets en vente sur Leboncoin.fr qui sont mis en scène avec leur propriétaire. Trop impatient de voir le résultat de ce travail, Wipplay s’est invité dans les coulisses de ce shooting cocasse. Morceaux choisis.
ACTE I, Scène première : Thierry, Alexis, Benjamin, Yvaine. Tous sont dans la cuisine de Benjamin, placés autour d’un ordinateur. Ils font défiler les annonces de Benjamin sur Leboncoin.fr.
THIERRY – Ça se vend bien les vieux T-shirts de Disney ?
BENJAMIN – J’ai beaucoup de hipsters qui viennent. J’en ai encore vendu un la semaine dernière.
THIERRY – Les escarpins, c’est à toi Benjamin ?
BENJAMIN – Non c’est à la mère d’Yvaine.
THIERRY – Tu te mets aussi aux annonces Yvaine ?
YVAINE – Avec Benjamin, je n’ai pas eu trop le choix.
THIERRY – Tu pourrais mettre les escarpins de ta mère Yvaine ?
YVAINE – Impossible, elle chausse trop grand.
THIERRY – (Il continue imperturbable à faire défiler les petites annonces à l’écran). Il est chez toi le livre de Claudia Schieffer ?
BENJAMIN – Non, je l’ai stocké chez mes parents.
THIERRY – Sympa pour eux.
BENJAMIN – Tous les gros trucs sont chez eux
THIERRY – Ouh la la, c’est quoi tout ça ?
BENJAMIN – Tu rentres dans le dur. C’est ma collection de gommes.
THIERRY – Ouais. Bof. Il est pas mal ce petit bateau « Dieppe ». C’est du bois ?
BENJAMIN – Oui
THIERRY – Je crois même que je préfère ce sous-marin jaune. On pourrait le mettre à l’eau ?
BENJAMIN – Bien sûr. Il est fait pour.
THIERRY – (Il continue à faire défiler les annonces au rythme de ses questions). Et c’est quoi ce livre-là dis moi ?
BENJAMIN – C’est « Vie de merde ».
THIERRY – « Vie de merde » ?
BENJAMIN – Oui c’est un bouquin avec des anecdotes de gens qui ont une vie de merde…
THIERRY – OK. On va partir là-dessus.
Scène II : Thierry, Alexis et Benjamin. Au milieu du salon. Shooting du « Vie de Merde »
BENJAMIN – Y’a besoin de supprimer de la lumière ambiante ?
THIERRY – Ah non non, surtout pas. Profitons de ce qu’on a.
Installe-toi sur le canapé-lit. Enlève tes chaussures évidemment et étale-toi comme tu le sens. Il faut que tu joues la « vie de merde ».
BENJAMIN – (Il cherche consciencieusement sa pose sur le lit. Il finit par s’adosser contre le mur, les pieds croisés).
THIERRY – Alexis, s’il te plait, décroche l’horloge et vire le gros coussin à gauche. Tiens-toi beaucoup plus mal que ça Benjamin. Il faut que tu sois davantage « Vie de Merde ».
ALEXIS – On ne serait pas juste à côté de l’héliport de Paris ?
THIERRY – Oui, c’est vrai ça. On entend les hélicos.
BENJAMIN – (Il s’avachit un peu plus au fond de son canapé). Je ne fais même plus attention. Je vis ici depuis trop longtemps.
THIERRY – Ecrase-toi encore un peu…
BENJAMIN – Comme ça ?
THIERRY – En fait non ça ne va pas. Je n’ai plus le cadre.
BENJAMIN – (Il remonte pour se rapprocher de sa position initiale). Et là ?
THIERRY – Impeccable. Yvaine tu peux enlever le coussin à droite ? Bon, là, Benjamin je suis au 60ème. Tu connais ? Ça veut dire que tu ne bouges pas. Je sens qu’elle va être bien celle-là…
Scène III : Thierry ; Alexis au téléphone. Quelque part dans l’entrée.
THIERRY, seul – Bon, on va aussi tenter une photo avec le sous-marin jaune. Je préfère assurer mes arrières. On va faire ça dans le lavabo de la salle de bain. Ensuite, on s’occupera d’Yvaine. Ce n’était pas prévu. Rien n’est jamais prévu dans ce qu’on réalise au final.
ALEXIS – (Il raccroche à l’instant). C’était la responsable des Rencontres d’Arles, Thierry. Pour les formats et les accrochages, on est assez libre.
THIERRY – Génial.
Scène IV : Thierry, Alexis et Benjamin. Dans la salle de bain de 2 mètres carrés. Shooting du sous-marin jaune.
THIERRY – Benjamin, mets le sous-marin dans l’eau en te plaçant face au miroir. Je vais te couper légèrement au-dessous du lavabo. Je voudrais faire le point sur toi, ta tête ne doit pas bouger.
ALEXIS – (Il brandit au plafond une lampe de chantier fixée sur un manche par du gros scotch). Je remonte un peu la lumière Thierry ?
THIERRY – Oriente-la bien sur son visage. Il faut éviter les reflets sur le miroir. Benjamin, tu peux faire couler l’eau.
BENJAMIN – Ce n’est pas grave si je penche le sous-marin comme ça ?
THIERRY – Non, non. Laisse-le droit dans le lavabo.
BENJAMIN – (Il esquisse un léger sourire). Ok.
THIERRY – Il faut que tu restes sérieux. On voit que tu t’amuses là.
BENJAMIN – (Il efface son sourire et regarde son sous-marin jaune avec le plus grand sérieux).
THIERRY – Ne bouge plus. Là t’es bien. Attends. Je vais en prendre deux trois en plus. Ça devrait être pas mal. C’est même pas mal du tout. Place à Yvaine maintenant.
ACTE II, Scène première : Thierry, Yvaine, Benjamin viennent de jeter un œil sur les annonces d’Yvaine. Sa collection de « colliers lumineux » a retenu l’attention de Thierry.
VAINE – Je prendrais bien le « star cross » ?
BENJAMIN – T’es sûre ? Je trouve la boule plus marrante.
YVAINE – La lumière est plus forte avec la croix non ?
THIERRY – On va tenter les deux colliers. On se remet dans la salle de bain.
Scène II : Thierry, Yvaine, Alexis, Benjamin. Yvaine est dans la salle de bain. Thierry la photographie depuis le couloir. Shooting du collier lumineux.
THIERRY – Ça va être l’enfer cette lumière. Alexis tu apporterais la LED d’appoint ? Benjamin, éteins la lumière du miroir s’il te plait. Yvaine, ce serait bien que tu t’attaches les cheveux.
YVAINE – Il ne faut pas voir mes cheveux ?
THIERRY – (Il se rapproche en faisant trembler le trépied). Si, si. Mais juste en queue de cheval. Ce sera très bien.
BENJAMIN – (Il se tourne vers Yvaine). Tu veux ton chouchou ?
THIERRY – Alexis, rapproche un peu la LED de l’objectif please. J’ai encore pas mal d’ombre.
ALEXIS – Je suis quasiment dessus. Mais, on rattrapera ça en post-prod…
THIERRY – (Il mitraille Yvaine toutes les 2 secondes). Certes, mais cette lumière de boitier fait une peau affreuse. Dis Benjamin, toi qui vends de tout, tu n’aurais pas un réflecteur ?
BENJAMIN – Argent ou noir ?
THIERRY – T’es fantastique toi. Les deux s’il te plait. (Il se tourne ensuite vers Yvaine). Montre-moi ton maquillage Yvaine. Je veux juste voir s’il tient la route.
BENJAMIN – (Il revient quelques instants plus tard pour déplier le réflecteur). Je vous le tiens ?
THIERRY – Avec plaisir. Tu peux te placer sur la gauche ? Ferme la bouche Yvaine s’il te plait. (Il regarde toutes les 2 secondes le résultat de ses photos). Ça fait une ombre que je n’aime pas. Tu peux tourner le réflecteur Benjamin ? Ouvre, ouvre encore. Là c’est pas mal… Ne bouge pas Yvaine. Regarde-moi s’il te plait. On commence à y être.
Scène III : Thierry, Yvaine, Alexis, Benjamin. Dans la pièce attenante au salon. Shooting des escarpins « bandes dessinées ».
THIERRY – Il faudrait mettre un petit coup de chiffon. Je viens de virer le tapis et il y a une quantité de poussière assez dingue.
ALEXIS – En général, quand on repart de chez les gens, c’est plus propre qu’à l’arrivée.
THIERRY – Vous connaissez cette photo d’Helmut Newton avec une paire de pompes incroyable ? La plus belle photo de pompes de tous les temps…
BENJAMIN – (Il époussette le sol). Oui, oui. Elle est magnifique cette photo !
YVAINE – (Elle regarde ses chaussures « bandes-dessinées » face à la glace). Ça ne va pas être évident d’en faire une aussi belle.
THIERRY – (Il est complètement allongé à même le sol). Oriente-toi vers moi Yvaine. Remonte un peu ta jupe. Alexis, tu peux m’apporter le boîtier sur pied ?
ALEXIS – (Il déploie le boitier). Elle est jolie cette couture qui part du talon.
YVAINE – Merci.
THIERRY – C’est vrai que la couture est jolie. Mais surtout, ces chaussures sont incroyables. C’est toi qui les as bricolées ?
YVAINE – Oui. C’était pour une soirée déguisée. J’ai découpé plein de BD que Benjamin avait d’ailleurs mis en vente sur Leboncoin.
THIERRY – Comme c’est surprenant.
YVAINE – J’ai passé un après-midi à les découper puis les coller.
BENJAMIN – Elle m’a bousillé toute ma collection. J’ai rien pu vendre.
THIERRY – Tu fais ça depuis quand Benjamin les petites annonces ?
BENJAMIN – Ça doit bien faire 5 ans.
THIERRY – Ça te prend un temps fou non ?
BENJAMIN – Avec Yvaine, on se fait un point tous les samedi. Quelques heures, le soir. C’est rentré dans nos habitudes.
THIERRY – Et tu te fais un peu de sous ?
BENJAMIN – Ah oui. Ça nous permet d’arrondir les fins de mois.
THIERRY – Tu ne fais pas seulement ça pour l’argent j’imagine ?
BENJAMIN – Ah non, vraiment pas. Ça me permet surtout de donner une nouvelle vie aux objets. Je trouve ça assez chouette. Et puis c’est aussi l’occasion de rencontrer des gens comme toi qui finissent allongés sur les tapis du salon.